dimanche 20 juin 2021

« Ah oui, Vampire, je connais, c’est un vieux jeu des années 90, avec une tonne de suppléments et plein de clans et la Camarilla ! » Alors oui, aussi. Dans le monde rôliste, Vampire « Mascarade », « Requiem », ce n’est pas le même jeu. Alors comme nous n’avons jamais évoqué ici l’autre Vampire, petite explication du pourquoi et comment deux jeux presque homonymes existent chez un même éditeur américain.

1991 : La Mascarade

La toute première édition de Vampire : La Mascarade démarre en 1991 chez White Wolf Publishing. En France, le jeu est proposé à l’un des éditeurs prédominants du JdR. Pourtant, la légende raconte que le look très (trop) détendu de Mark Rein-Hagen, l’auteur venu présenter son jeu, aurait rebuté le directeur créatif de la maison. Qui s’en est mordu les doigts, avant d’en rigoler aujourd’hui. Vampire sera donc traduit et distribué en France par Hexagonal, qui ignore encore dans quelle aventure ils s’embarquent.

Couverture de Vampire : La Mascarade chez Hexagonal

Le livre de base propose alors sept clans vampiriques. Très vite ce nombre va augmenter au fil des suppléments, et les différents clans vont se répartir dans trois grands camps. La Camarilla regroupera les sept clans du livre de base, tandis que le Sabbat rassemblera de nouveaux clans et de rares renégats de la Camarilla. Difficile pourtant d’échapper à la ligne politique de son clan, même si entre ces deux titans qui luttent pour le pouvoir sur le monde mortel, son Bétail, et de plus sombres secrets encore, gravitent lignées de sang et clans quasi éteints. Ces indépendants sont désignés sous le nom d’Anarchs et agissent comme des chiens dans les jeux de quilles des Princes Vampires et des Anciens.

Une gamme pléthorique

Vampire : La Mascarade connaît une seconde édition (non publiée en France), puis une révision, improprement appelée « troisième édition » mais c’est un détail, et surtout une pléthore de suppléments. À partir de 1995, pas loin d’un livre par mois sort pour enrichir et détailler l’univers ! Et il ne s’agit que de la seule gamme Vampire contemporaine. En effet, des suppléments paraissent pour jouer au Moyen âge et à l’époque victorienne. De plus, l’univers étendu dans lesquels les buveurs de sang évoluent, adopte bien vite le nom de Monde des Ténèbres, où rôdent également Loups-Garous, Spectres, Mages, Momies et les humains qui les chassent, les Exterminateurs.

La gestion des personnages emprunte beaucoup aux concepts de niveau. Les Vampires se répartissent en générations, la première étant celle du tout premier Vampire, le mythique Caïn de la Genèse. Les joueurs commençaient à la treizième. Commençaient ? Et oui ! Quand un Vampire dévore un congénère plus ancien, il accapare une partie de ses pouvoirs et « gagne » une génération.

Dans sa narration, le World of Darkness des années 1990 - 2000 s’inscrit dans les tendances de l’époque : un jeu à storyline. Le Monde des Ténèbres évolue au fur et à mesure des sorties boutique. La Mascarade de 1991 et celle de 2004 n’ont ainsi plus grand-chose à voir tant l’échiquier politique et les événements surnaturels ont perturbé le monde. Chaque année réelle a sa thématique, et 2004, nommée Time of Judgment, apporte un bouquet final à cet univers. C’est la Géhenne, la fin du monde pour les Vampires, dont les pères et mères fondatrices (des créatures millénaires) se réveillent pour dévorer leurs enfants. D’autres options sont détaillées dans l’ultime supplément de la gamme pour jouer des apocalypses moins grandiloquentes.

Vous êtes perdus ? Beaucoup de gens l’étaient. Pour assurer son rythme quasi mensuel de publication, White Wolf employait une armée d’auteurs qui n’avaient pas tous le temps de se coordonner. En France, Hexagonal ne pouvait pas suivre et un volume conséquent de titres ne put être traduit.

La profusion d’informations qui en résulte se contredit souvent, et a rendu obsolète nombre de « vieux » suppléments. Cette jungle et l’immensité de l’univers rebutaient les nouveaux joueurs. Un sérieux problème à l’époque où le jeu de rôle souffrait de la concurrence des jeux de cartes à collectionner et des jeux de rôle en ligne.

2004 : Le Requiem

Le Monde des Ténèbres est mort, ressuscitons le Monde des Ténèbres ! Aussitôt après l’arrêt de Vampire « Mascarade », « Requiem » prend la relève, chez le même éditeur. Plutôt que de tenter de corriger les incohérences internes, White Wolf parie sur une remise à zéro de son univers.

Exit les dizaines de lignées, de clans, de sectes, les origines bibliques des Vampires et la menace omniprésente du réveil d’Antédéluviens monstrueux. La politique éditoriale balaie tous les ouvrages parus depuis 1991 pour Vampire « Mascarade ». « Requiem » fait ainsi table rase du passé, aussi bien en boutique que dans son univers. Désormais, les Chroniques des Ténèbres n'ont pas de storyline et très peu d'éléments qui contraignent l'univers. Cette plus grande liberté incite chaque MJ à personnaliser son monde et à piocher dans ce qui l'intéresse. Les personnages ne sont plus détournés de leurs existences par la menace du réveil de hérauts de l’apocalypse. Leur principale préoccupation doit rester les tourments qui les hantent et qui pourraient lâcher la bride à leur Bête.

Le premier livre à paraître pour cette nouvelle gamme s’intitule World of Darkness et se veut un ouvrage générique depuis lequel découleront toutes les gammes à venir (Vampire, Loup-Garou, Mage, etc.). La première édition de Vampire : le Requiem nécessite cet ouvrage, mais rapidement, la deuxième édition (celle traduite en français par le studio) embarque les éléments de règles. Vampire : le Requiem deuxième édition devient un jeu indépendant et jouable de suite.

Et il pose les bases d’un jeu radicalement différent de son prédécesseur. Cette nouvelle version de la nuit est plus sombre, plus tourmentée, et plus désespérée. Les créatures que les joueurs incarneront ont pleinement conscience de leur nature monstrueuse et se raccrochent à leur humanité tant bien que mal. Ces aspects, bien que déjà explorés auparavant, deviennent ici centraux.


 

Les Clans

Vampire : Le Requiem enfonce le pieu le clou : les Vampires sont issus de 5 Clans de sang aux caractéristiques très différentes. Celles portent uniquement sur le comportement individuel, les pulsions du monstre que vous vous créez (car oui, dans Requiem, vous n’incarnez pas un « personnage », mais un « monstre » : tout est fait pour rappeler que le vampirisme est une malédiction). Ces espèces de vampires (le vampire social, le vampire sauvage, le vampire discret, le vampire monstrueux et le vampire institutionnel) ne portent pas d'orientation politique.

Les Daevas (ceux pour qui vous mourez) fascinent par leur beauté et leur charisme autant qu’ils sont compulsifs, jouisseurs et monomaniaques. Éminemment sociaux, leurs membres constituent la jet-set de la nuit.

Les Gangrels (ceux que vous ne pouvez tuer) embrassent pleinement leur Bête chaque fois que le besoin ou la pulsion s’en fait sentir. Leur plus grande force est ainsi la nature même de leur perte inéluctable — et ils le savent.

Les Mekhets (ceux que vous ne pouvez voir) ne se cachent pas dans les ombres, ils sont les ombres, ceux qui vous regardent dormir et qui vivent chez vous sans même que vous le sachiez.

Les Nosferatus (ceux qui vous craignez) se tapissent dans l’ombre pour masquer leur apparence monstrueuse. Ils servent de la peur et du dégoût qu’ils inspirent pour obtenir ce qu’ils veulent.

Les Ventrues (ceux à qui vous ne pouvez vous opposer) constituent enfin la noblesse vampirique, ceux à qui on ne peut rien refuser, qui tirent les ficelles et contrôlent le monde des humains.

Les Ligues

Les Ligue regroupent des Vampires de tous Clans et offrent un sens à leur non-vie — un sens plus grand qu’étancher sa soif et assouvir ses pulsions de connaissance ou de sauvagerie. Ces cinq Ligues explorent la richesse des courants politiques entre immortels. L’appartenance un clan ne force en rien à rejoindre une Ligue. L’individu et son « espèce » ne conditionnent pas ses idées, et appartenir à une Ligue n’entraîne pas plus la stricte opposition aux autres. Plus encore, l’appartenance à une Ligue relève véritablement de l’affiliation politique, avec tout ce que cela implique de changement, de mensonge, de trahison, de revirement, d’alliances...

La Lancea et Sanctum guide les Vampires qui ont gardé ou trouvé la Foi dans leur Requiem. Gardien de la moralité au sein de la Famille, farouches opposants de la Bête, ils abhorrent le changement qui signifierait forcément pire. Dieu a effectivement maudit les Vampires à devenir des monstres assoiffés de sang. La Lancea cherche la Rédemption et sert le Seigneur en accomplissant ses basses œuvres. Ils se considèrent donc comme un mal nécessaire, pour la plus grande gloire du Très-Haut.

L’Invictus recherche le Pouvoir. Sur la société humaine, sur la société vampire, peu importe : l’un nourrit toujours l’autre. Leurs adversaires les méprisent comme un reliquat obsolète de la défunte Camarilla. Mais l'Invictus n'oublie pas comment disparut le premier gouvernement des Vampires. Il fut détruit en même temps que l’Empire romain, sous les attaques des Stryges...

Le Mouvement carthien porte la voix de la Réforme, envers et contre tout. Militants radicaux de la liberté, démocrates forcenés virant facilement à l’anarchisme, les carthiens refusent l’ordre établi car il nie le mouvement. Or le mouvement, le changement, l’évolution, est ce qui se rapproche le plus de la vie pour un mort.

Le Cercle de la Guenaude regroupe et protège les opprimés : cultures premières, femmes battues, clochards ruinés… Elle accueille aussi tous les excentriques et les marginaux rejetés par la société pour leur différence. Là où le Mouvement carthien prône un nouvel équilibre, le Cercle de la Guenaude règle des comptes parfois vieux de plusieurs siècles. Et les Sorcières Défient quiconque de les en empêcher.

L’Ordo Dracul, enfin, cherche la Libération. Pour beaucoup, ils ne sont qu’un ramassis de savants fous. Ces malades expérimentent sur le sang vampirique. Ils dissèquent leurs victimes pour accomplir des rituels impies et vaincre leurs ennemis. Cela n’est cependant qu’en partie vrai : les membres de l’Ordo Dracul cherchent à percer le secret ultime. Celui qui a provoqué leur transformation en Vampire. Celui qui leur rendra leur humanité. Celui qui transcendera leur nature de monstre. Celui qui leur évitera de céder tout à fait à la Bête.

Un cadre narratif à explorer

Dans cette incessante lutte politique, la quête de pouvoir individuel prend une tout autre tournure que précédemment. Les Vampires, et donc les personnages, progressent en embrassant leur Requiem et en conservant leur humanité. Les pouvoirs du personnage proviennent de sa Puissance de Sang : plus ce dernier s’épaissit, plus il est dense en « énergie » et permet d’accomplir des prouesses. Pourtant cette progression comporte un revers : un Sang trop épais entraîne la Torpeur, ce sommeil de quelques siècles durant lequel le Vampire oublie les tourments de son Requiem. Quand il se réveillera, forcément anachronique, son sang se sera dilué et son expérience de l’existence ne s’accompagnera plus d’une puissance de feu dévastatrice – pas dans les premiers temps, du moins. Tout l’enjeu pour un ancien Vampire consiste donc à se maintenir éveillé, à donner un sens au Requiem... quand bien même la Torpeur survient toujours, une nuit ou l’autre. S'y préparer pour ne pas être surpris constitue un enjeu à part entière.

L’ensemble produit un échiquier où les frontières entre les cases sont désormais plus floues. Les récits des origines ne sont pas uniques et absolus. Même les adversaires s’avèrent moins évidents. Ainsi, tous les Vampires redoutent les terribles Stryges. Pourtant leurs descriptions divergent tant que ce terme unique de Stryge semble trompeur. Véritables croque-mitaines, ces créatures seraient des Vampires primordiaux et désincarnés. Aïeux des Damnés actuels ? Vampires transcendés ayant dépassé le conflit avec leur Bête ? Seules certitudes : ces hiboux d’ombre immatérielle s’incarnent dans des cadavres pour les posséder et ils détestent les Damnés. Mauvaise nouvelle : les Vampires sont des cadavres.


De même, au-delà de quelques éléments pour inscrire les Vampires dans le fil du temps, peu de contraintes s’imposent aux Conteurs. Les descriptions des clans et des ligues (notamment grâce au supplément Les Secrets des Ligues) aident les Conteurs à bien distinguer les nuances des unes et des autres. Pour autant, chaque Chronique pourra évoluer comme bon lui semble. Chaque table produira son Monde des Ténèbres, répondant à ses attentes et sa manière de jouer. Les Vampires peuvent être les seules créatures surnaturelles du Monde des Ténèbres. Les Stryges peuvent être une menace permanente ou lointaine. La nuit peut héberger d’autres créatures fantastiques, telles que les Déchaînés de la gamme Démon : La Damnation. L’adage : « vous avez acheté le livre, c’est votre jeu, faites-en ce que vous voulez » est ici inscrit dans l’ADN de Vampire : Le Requiem. Votre histoire ne sera jamais en contradiction avec les ouvrages officiels.

Alors votre Vampire ? Mascarade, Requiem ?

Le « reboot » de 2004 a porté ses fruits en attirant un public de nouveaux joueurs, qui pouvaient commencer à jouer sans devoir acquérir une bibliothèque encyclopédique. Il a au contraire rebuté ceux qui avaient précisément suivi la gamme depuis son origine. Une Mascarade 5e Édition est ainsi née pour apporter une continuité à la gamme historique de 1991. Depuis les deux jeux évoluent en parallèle.

Plus qu’un retour aux sources de Vampire « Mascarade », « Requiem » a offert une autre proposition de jeu, que résument bien leurs sous-titres respectifs. En 1991, Vampire : la Mascarade propose des luttes de puissances et des conflits plus ou moins armés entre super-prédateurs. Ceux-ci se cachent de l’humanité pour mieux la manipuler, la contrôler et s’en repaître. Les personnages seront du côté des dominants.

Dans Vampire : le Requiem 2e Édition, l’aspect classe et sexy du Vampire s’efface derrière sa dimension tragique et désespérée, derrière l’horreur de la situation. Vous êtes un Vampire ? Très bien : vous ne verrez plus jamais le soleil, et toutes les nuits, vous devrez tuer des humains pour survivre. Oh et vos proches mourront sous vos yeux, un jour ou l’autre. Comment s’occuper sans devenir fou durant l’immortalité ? Comment conserver son humanité quand tout vous sépare de votre « peuple » d’origine ? Comment vivre à la fois hors de l’humanité quand on dépend d’elle ? Comment repousser la Bête, une nuit de plus, sans sombrer dans la Torpeur ?

De quoi ferez-vous le deuil, immortel ? 

« Requiem » garde ainsi une orientation plus sombre, plus tourmentée et orientée sur l’histoire présente des personnages et leurs relations avec le monde qui les entoure.

Le livre de base contient d'ailleurs des règles mais surtout des techniques narratives. Elles permettront aux Conteurs de construire avec leurs joueurs une Chronique qui mettra l’humanité de leurs personnages à rude épreuve. Les deux jeux s'inspirent des grands classiques de la littérature et du cinéma « vampirique ». Toutefois Requiem y ajoute entre autres Raymond Chandler. Ses romans noirs décrivent les raisons qui poussent les gens à faire des choses affreuses, dans l’immense ville de Los Angeles. Et celle-ci n’est pas présentée avec amour et bienveillance, mais avec détestation.

L'horreur contemporaine de Vampire : Le Requiem puise ses racines dans les méfaits séculaires de personnages immortels. À eux de tenter désespérément non pas de survivre mais de conserver intact ce qui représente pour eux la morale et l’humanité.

Car chaque Vampire sait que c’est la nuit que l’on peut rêver aux étoiles, même si elles resteront à jamais inaccessibles…

Vampire : Le Requiem 2e Édition est traduit en français par le Studio Agate et dispose d’une gamme de cinq ouvrages. La précommande pour acquérir les volumes papier des deux prochains suppléments, Le Guide de la Nuit et Semi-Damnés, se déroulera du 5 au 19 juillet 2021.

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