« Ah oui, Vampire, je connais, c’est un vieux jeu des
années 90, avec une tonne de suppléments et plein de clans et
la Camarilla ! » Alors oui, aussi. Dans le monde
rôliste, Vampire « Mascarade », « Requiem »,
ce n’est pas le même jeu. Alors comme nous n’avons jamais évoqué
ici l’autre Vampire, petite explication du pourquoi et comment deux jeux presque homonymes existent chez un même éditeur américain.
1991 : La Mascarade
La toute première édition de Vampire : La
Mascarade démarre en 1991 chez White Wolf Publishing. En France, le
jeu est proposé à l’un des éditeurs prédominants du JdR.
Pourtant, la légende raconte que le look très (trop) détendu de
Mark Rein-Hagen, l’auteur venu présenter son jeu, aurait rebuté
le directeur créatif de la maison. Qui s’en est mordu les doigts,
avant d’en rigoler aujourd’hui. Vampire sera donc traduit et
distribué en France par Hexagonal, qui ignore encore dans quelle
aventure ils s’embarquent.
Le livre de base propose alors sept clans
vampiriques. Très vite ce nombre va augmenter au fil des
suppléments, et les différents clans vont se répartir dans trois
grands camps. La Camarilla regroupera les sept clans du livre de
base, tandis que le Sabbat rassemblera de nouveaux clans et de rares
renégats de la Camarilla. Difficile pourtant d’échapper à la
ligne politique de son clan, même si entre ces deux titans qui
luttent pour le pouvoir sur le monde mortel, son Bétail, et de plus
sombres secrets encore, gravitent lignées de sang et clans quasi
éteints. Ces indépendants sont désignés sous le nom d’Anarchs
et agissent comme des chiens dans les jeux de quilles des Princes
Vampires et des Anciens.
Une gamme pléthorique
Vampire : La Mascarade connaît une seconde
édition (non publiée en France), puis une révision, improprement
appelée « troisième édition » mais c’est un détail,
et surtout une pléthore de suppléments. À partir de 1995, pas loin
d’un livre par mois sort pour enrichir et détailler
l’univers ! Et il ne s’agit que de la seule gamme Vampire
contemporaine. En effet, des suppléments paraissent pour jouer au
Moyen âge et à l’époque victorienne. De plus, l’univers étendu
dans lesquels les buveurs de sang évoluent, adopte bien vite le nom
de Monde des Ténèbres, où rôdent également Loups-Garous,
Spectres, Mages, Momies et les humains qui les chassent, les
Exterminateurs.
La gestion des personnages emprunte beaucoup aux
concepts de niveau. Les Vampires se répartissent en générations,
la première étant celle du tout premier Vampire, le mythique Caïn
de la Genèse. Les joueurs commençaient à la treizième.
Commençaient ? Et oui ! Quand un Vampire dévore un
congénère plus ancien, il accapare une partie de ses pouvoirs et
« gagne » une génération.
Dans sa narration, le World of Darkness des
années 1990 - 2000 s’inscrit dans les tendances de l’époque :
un jeu à storyline. Le Monde des Ténèbres évolue au fur et à
mesure des sorties boutique. La Mascarade de 1991 et celle de 2004
n’ont ainsi plus grand-chose à voir tant l’échiquier politique
et les événements surnaturels ont perturbé le monde. Chaque année
réelle a sa thématique, et 2004, nommée Time of Judgment, apporte
un bouquet final à cet univers. C’est la Géhenne, la fin du monde
pour les Vampires, dont les pères et mères fondatrices (des
créatures millénaires) se réveillent pour dévorer leurs enfants.
D’autres options sont détaillées dans l’ultime supplément de
la gamme pour jouer des apocalypses moins grandiloquentes.
Vous êtes perdus ? Beaucoup de gens
l’étaient. Pour assurer son rythme quasi mensuel de publication,
White Wolf employait une armée d’auteurs qui n’avaient pas tous
le temps de se coordonner. En France, Hexagonal ne pouvait pas suivre
et un volume conséquent de titres ne put être traduit.
La profusion d’informations qui en résulte se
contredit souvent, et a rendu obsolète nombre de « vieux »
suppléments. Cette jungle et l’immensité de
l’univers rebutaient les nouveaux joueurs. Un sérieux problème à
l’époque où le jeu de rôle souffrait de la concurrence des jeux
de cartes à collectionner et des jeux de rôle en ligne.
2004 : Le Requiem
Le Monde des Ténèbres est mort, ressuscitons le
Monde des Ténèbres ! Aussitôt après l’arrêt de Vampire
« Mascarade », « Requiem » prend la relève,
chez le même éditeur. Plutôt que de tenter de corriger les
incohérences internes, White Wolf parie sur une remise à zéro de
son univers.
Exit les dizaines de lignées, de clans, de
sectes, les origines bibliques des Vampires et la menace omniprésente
du réveil d’Antédéluviens monstrueux. La politique éditoriale
balaie tous les ouvrages parus depuis 1991 pour Vampire
« Mascarade ». « Requiem » fait ainsi table rase du
passé, aussi bien en boutique que dans son univers. Désormais, les Chroniques des Ténèbres n'ont pas de
storyline et très peu d'éléments qui contraignent l'univers. Cette
plus grande liberté incite chaque MJ à personnaliser son monde et à
piocher dans ce qui l'intéresse. Les personnages ne sont plus
détournés de leurs existences par la menace du réveil de hérauts
de l’apocalypse. Leur principale préoccupation doit rester les
tourments qui les hantent et qui pourraient lâcher la bride à leur
Bête.
Le premier livre à paraître pour cette nouvelle
gamme s’intitule World of Darkness et se veut un ouvrage générique
depuis lequel découleront toutes les gammes à venir (Vampire, Loup-Garou, Mage, etc.). La première édition de Vampire : le Requiem nécessite cet ouvrage, mais rapidement, la deuxième édition (celle traduite en français par le studio) embarque les éléments de règles. Vampire : le Requiem deuxième édition devient un jeu indépendant et jouable de suite.
Et il pose les bases
d’un jeu radicalement différent de son prédécesseur. Cette
nouvelle version de la nuit est plus sombre, plus tourmentée, et
plus désespérée. Les créatures que les joueurs incarneront ont
pleinement conscience de leur nature monstrueuse et se raccrochent à
leur humanité tant bien que mal. Ces aspects, bien que déjà
explorés auparavant, deviennent ici centraux.
Les Clans
Vampire : Le Requiem enfonce le
pieu le clou : les Vampires sont issus de 5 Clans de
sang aux caractéristiques très différentes. Celles portent
uniquement sur le comportement individuel, les pulsions du monstre
que vous vous créez (car oui, dans Requiem, vous n’incarnez pas un
« personnage », mais un « monstre » :
tout est fait pour rappeler que le vampirisme est une malédiction).
Ces espèces de vampires (le vampire social, le vampire sauvage, le vampire discret, le vampire monstrueux et
le vampire institutionnel)
ne portent pas d'orientation politique.
Les Daevas (ceux pour qui vous mourez) fascinent par leur beauté et
leur charisme autant qu’ils sont compulsifs, jouisseurs et
monomaniaques. Éminemment sociaux, leurs membres constituent la
jet-set de la nuit.
Les Gangrels (ceux que vous ne pouvez tuer) embrassent pleinement leur Bête chaque fois que le
besoin ou la pulsion s’en fait sentir. Leur plus grande force est
ainsi la nature même de leur perte inéluctable — et ils le
savent.
Les Mekhets (ceux que vous ne pouvez voir) ne se cachent pas dans les ombres, ils sont les ombres, ceux qui vous regardent dormir et qui vivent chez vous sans même que vous le sachiez.
Les Nosferatus (ceux qui vous craignez) se tapissent dans l’ombre
pour masquer leur apparence monstrueuse. Ils servent de la peur et du
dégoût qu’ils inspirent pour obtenir ce qu’ils veulent.
Les Ventrues (ceux à qui vous ne pouvez vous opposer) constituent enfin la noblesse
vampirique, ceux à qui on ne peut rien refuser, qui tirent les ficelles et contrôlent le monde des humains.
Les Ligues
Les Ligue regroupent des Vampires de
tous Clans et offrent un sens à leur non-vie — un sens plus grand
qu’étancher sa soif et assouvir ses pulsions de connaissance ou de
sauvagerie. Ces cinq Ligues explorent la richesse des courants
politiques entre immortels. L’appartenance un clan ne force
en rien à rejoindre une Ligue. L’individu et son « espèce »
ne conditionnent pas ses idées, et appartenir à une Ligue
n’entraîne pas plus la stricte opposition aux autres. Plus encore,
l’appartenance à une Ligue relève véritablement de l’affiliation
politique, avec tout ce que cela implique de changement, de mensonge,
de trahison, de revirement, d’alliances...
La Lancea et Sanctum guide les Vampires qui
ont gardé ou trouvé la Foi dans leur Requiem. Gardien de la
moralité au sein de la Famille, farouches opposants de la Bête, ils
abhorrent le changement qui signifierait forcément pire. Dieu a
effectivement maudit les Vampires à devenir des monstres assoiffés
de sang. La Lancea cherche la Rédemption et sert le Seigneur en
accomplissant ses basses œuvres. Ils se considèrent donc comme un
mal nécessaire, pour la plus grande gloire du Très-Haut.
L’Invictus recherche le Pouvoir.
Sur la société humaine, sur la société vampire, peu importe :
l’un nourrit toujours l’autre. Leurs adversaires les méprisent
comme un reliquat obsolète de la défunte Camarilla. Mais l'Invictus
n'oublie pas comment disparut le premier gouvernement des Vampires.
Il fut détruit en même temps que l’Empire romain, sous les
attaques des Stryges...
Le Mouvement carthien porte la voix de la
Réforme, envers et contre tout. Militants radicaux de la
liberté, démocrates forcenés virant facilement à l’anarchisme,
les carthiens refusent l’ordre établi car il nie le mouvement. Or
le mouvement, le changement, l’évolution, est ce qui se rapproche
le plus de la vie pour un mort.
Le Cercle de la Guenaude regroupe et
protège les opprimés : cultures premières, femmes battues,
clochards ruinés… Elle accueille aussi tous les excentriques et
les marginaux rejetés par la société pour leur différence. Là où
le Mouvement carthien prône un nouvel équilibre, le Cercle de la
Guenaude règle des comptes parfois vieux de plusieurs siècles. Et
les Sorcières Défient quiconque de les en empêcher.
L’Ordo Dracul, enfin, cherche la
Libération. Pour beaucoup, ils ne sont qu’un ramassis de
savants fous. Ces malades expérimentent sur le sang vampirique. Ils
dissèquent leurs victimes pour accomplir des rituels impies et
vaincre leurs ennemis. Cela n’est cependant qu’en partie vrai :
les membres de l’Ordo Dracul cherchent à percer le secret ultime.
Celui qui a provoqué leur transformation en Vampire. Celui qui leur
rendra leur humanité. Celui qui transcendera leur nature de monstre.
Celui qui leur évitera de céder tout à fait à la Bête.
Un cadre narratif à explorer
Dans cette incessante lutte politique, la quête
de pouvoir individuel prend une tout autre tournure que précédemment.
Les Vampires, et donc les personnages, progressent en embrassant leur
Requiem et en conservant leur humanité. Les pouvoirs du personnage
proviennent de sa Puissance de Sang : plus ce dernier
s’épaissit, plus il est dense en « énergie » et
permet d’accomplir des prouesses. Pourtant cette progression
comporte un revers : un Sang trop épais entraîne la Torpeur,
ce sommeil de quelques siècles durant lequel le Vampire oublie les
tourments de son Requiem. Quand il se réveillera, forcément
anachronique, son sang se sera dilué et son expérience de
l’existence ne s’accompagnera plus d’une puissance de feu
dévastatrice – pas dans les premiers temps, du moins. Tout l’enjeu pour un ancien Vampire consiste donc à se maintenir éveillé, à donner un sens au Requiem... quand bien même
la Torpeur survient toujours, une nuit ou l’autre. S'y préparer pour ne pas être surpris constitue un enjeu à part entière.
L’ensemble produit un échiquier où les
frontières entre les cases sont désormais plus floues. Les récits
des origines ne sont pas uniques et absolus. Même les adversaires
s’avèrent moins évidents. Ainsi, tous les Vampires redoutent les
terribles Stryges. Pourtant leurs descriptions divergent tant que ce
terme unique de Stryge semble trompeur. Véritables croque-mitaines,
ces créatures seraient des Vampires primordiaux et désincarnés.
Aïeux des Damnés actuels ? Vampires transcendés ayant dépassé
le conflit avec leur Bête ? Seules certitudes : ces hiboux
d’ombre immatérielle s’incarnent dans des cadavres pour les
posséder et ils détestent les Damnés. Mauvaise nouvelle : les Vampires sont des cadavres.
De même, au-delà de quelques éléments pour
inscrire les Vampires dans le fil du temps, peu de contraintes
s’imposent aux Conteurs. Les descriptions des clans et des ligues (notamment grâce au supplément Les Secrets des Ligues) aident les
Conteurs à bien distinguer les nuances des unes et des autres. Pour
autant, chaque Chronique pourra évoluer comme bon lui semble. Chaque
table produira son Monde des Ténèbres, répondant à ses attentes
et sa manière de jouer. Les Vampires peuvent être les seules
créatures surnaturelles du Monde des Ténèbres. Les Stryges peuvent
être une menace permanente ou lointaine. La nuit peut héberger
d’autres créatures fantastiques, telles que les Déchaînés de la
gamme Démon : La Damnation. L’adage : « vous avez
acheté le livre, c’est votre jeu, faites-en ce que vous voulez »
est ici inscrit dans l’ADN de Vampire : Le Requiem. Votre
histoire ne sera jamais en contradiction avec les ouvrages officiels.
Alors votre Vampire ? Mascarade, Requiem ?
Le « reboot » de 2004 a porté ses
fruits en attirant un public de nouveaux joueurs, qui pouvaient
commencer à jouer sans devoir acquérir une bibliothèque
encyclopédique. Il a au contraire rebuté ceux qui avaient
précisément suivi la gamme depuis son origine. Une Mascarade 5e
Édition est ainsi née pour apporter une continuité à la gamme
historique de 1991. Depuis les deux jeux évoluent en parallèle.
Plus qu’un retour aux sources de Vampire
« Mascarade », « Requiem » a offert une autre
proposition de jeu, que résument bien leurs sous-titres respectifs.
En 1991, Vampire : la Mascarade propose des luttes de puissances et des
conflits plus ou moins armés entre super-prédateurs. Ceux-ci se
cachent de l’humanité pour mieux la manipuler, la contrôler et
s’en repaître. Les personnages seront du côté des dominants.
Dans Vampire : le Requiem 2e Édition, l’aspect classe et sexy du
Vampire s’efface derrière sa dimension tragique et
désespérée, derrière l’horreur de la situation. Vous êtes un
Vampire ? Très bien : vous ne verrez plus jamais le
soleil, et toutes les nuits, vous devrez tuer des humains pour
survivre. Oh et vos proches mourront sous vos yeux, un jour ou
l’autre. Comment s’occuper sans devenir fou durant
l’immortalité ? Comment conserver son humanité quand tout
vous sépare de votre « peuple » d’origine ?
Comment vivre à la fois hors de l’humanité quand on dépend
d’elle ? Comment repousser la Bête, une nuit de plus, sans
sombrer dans la Torpeur ?
De quoi ferez-vous le deuil, immortel ?
« Requiem » garde ainsi une
orientation plus sombre, plus tourmentée et orientée sur l’histoire
présente des personnages et leurs relations avec le monde qui les
entoure.
Le livre de base contient d'ailleurs des règles
mais surtout des techniques narratives. Elles permettront aux
Conteurs de construire avec leurs joueurs une Chronique qui mettra
l’humanité de leurs personnages à rude épreuve. Les deux jeux
s'inspirent des grands classiques de la littérature et du cinéma
« vampirique ». Toutefois Requiem y ajoute entre autres
Raymond Chandler. Ses romans noirs décrivent les raisons qui
poussent les gens à faire des choses affreuses, dans l’immense
ville de Los Angeles. Et celle-ci n’est pas présentée avec amour
et bienveillance, mais avec détestation.
L'horreur contemporaine de Vampire : Le
Requiem puise ses racines dans les méfaits séculaires de
personnages immortels. À eux de tenter désespérément non pas de
survivre mais de conserver intact ce qui représente pour eux la
morale et l’humanité.
Car chaque Vampire sait que c’est la nuit que
l’on peut rêver aux étoiles, même si elles resteront à jamais
inaccessibles…
Vampire : Le Requiem 2e Édition est traduit
en français par le Studio Agate et dispose d’une gamme de cinq
ouvrages. La précommande pour
acquérir les volumes papier des deux prochains suppléments, Le
Guide de la Nuit et Semi-Damnés, se déroulera du 5 au 19 juillet
2021.
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