jeudi 7 mai 2020


Pactes d’âme

La Couverture d’un démon est probablement son bien le plus précieux. 

En l’adoptant, elle lui offre un anonymat salutaire, en plus de l’occasion d’évoluer librement parmi les hommes, sans attirer l’attention des anges. Les démons se comportent différemment vis-à-vis de leur Couverture : certains l’entretiennent avec ferveur, y consacrant temps et ressources, là où d’autres en changent constamment, à la manière d'une mue.

Tous doivent cependant recourir à des commerces interdits pour les obtenir. Il n’est pas possible de dépouiller un humain de sa vie, tant que ce dernier n’y a pas consenti par le biais d’un accord formel. Cela dit, vous savez combien les mortels sont dupes et avides…peu prennent le temps de lire les conditions spéciales mentionnées en tout petit du contrat que vous leur tendez, avec votre sourire ravageur, en échange de la gloire ou d’une fortune insolente.

Dès lors, il ne vous reste plus qu’à récolter votre dû, le moment voulu…



Extrait du livre de base

L'une des manières de remplacer une Couverture perdue consiste à voler une vie humaine. Tout humain qui a vendu son âme est un candidat potentiel. Il suffit alors au démon d’apposer ses paumes sur l’individu, de verbaliser le pacte, et le tour est joué. Certains démons rechignent à utiliser ce pouvoir et ne s’en servent qu'en dernier recours. D'autres démons apprécient grandement l'opportunité de s’emparer de vies humaines développées et de s’en draper telle une pièce d’étoffe. Ceux qui emploient cette tactique admettent bien souvent être des parasites, survivant grâce à des vies volées, et ce qu'ils soient désabusés ou rongés par le remord.


TROIS JOURS

Au final, ce fut un soulagement. Ce simple message de deux mots, écrit et placé sur son bureau, tombait comme le verdict d’un procès. Aiden Holloway se sentait libéré d’un poids qu’il n’avait pas eu entièrement conscience de porter, et qui l’avait oppressé depuis l’accord.

Il avait passé les deux jours suivants à vider sa boîte mail, donnant au personnel un jour de repos de plus pour avoir un grand weekend. Il avait surpris Angela en l’amenant au spa. À l’aube du troisième jour, il était parfaitement seul dans la maison, ce qui lui permit de procéder aux derniers arrangements.

Juste après le coucher du soleil, le Diable l’appela.

Holloway ne reconnut pas l’homme sur l’écran de l’interphone, mais cette personne souriait de la même façon que l’image qui avait hanté ses cauchemars lors des quinze dernières années. Un sourire dépourvu de joie, comme celui d’un requin ayant flairé l’odeur du sang.

Il appuya sur le bouton pour déverrouiller le portail et essaya de ne pas trop transpirer. Il fit les cent pas à la place, écoutant les portes s’ouvrir et se fermer. Il se rapprochait incessamment, et le Diable finit par être dans la même pièce.

— Bonjour, Aiden.
Holloway ravala sa peur et offrit un verre au nouveau venu. Le démon jeta un œil au liquide mais ne le but pas.
—Vous n’avez pas pris la fuite, contrairement à la plupart des gens.
— Aurais-je pu m’enfuir ?
— Non.
Holloway descendit d’une traite son verre, et le démon prit une courte gorgée. Pendant un long moment, personne ne parla. Une goutte de sueur dévala le cou d’Holloway.
Le démon finit par poser son verre sur une table, et sourit à nouveau.
— De l’eau bénite ? demanda-t-il d’un ton parfaitement désinvolte.
— Je devais bien essayer un truc. Je me suis dit que fuir ne fonctionnerait pas.
Le démon haussa les épaules.
—Vous vouliez partir l’arme à la main. Je respecte cela, il n’y a pas de mal.
Holloway changea d’appui, tendant ses jambes, prêt à courir.
— Essayez-donc, dit le démon sur le même air amical, et je devrais vous arrêter.
Le démon était proche à présent, suffisamment pour l’attraper s’il était assez rapide. La ruse n’avait pas fonctionné. Holloway devrait donc tenter de l'acheter.
— Je peux vous offrir…
Le démon l’interrompit :
— Pas intéressé.
Les nerfs d’Holloway finirent pas céder.
— Pourquoi ? Pourquoi maintenant ? N’ai-je pas fait ce que vous aviez demandé ? J’ai pris l’argent que vous m’avez donné…
— Et vous êtes devenu quelqu’un. Je sais. Je vous ai observé. Vous avez eu tout le succès que je vous avais promis. Votre firme participe à une douzaine de projets immobiliers du gouvernement. C’est pour cela, malheureusement, que notre accord touche à sa fin.
— Parce que j’ai eu une belle vie ?
— Non. Car j’en ai besoin.
Le démon tendit la main à une vitesse incroyable et posa sa paume contre le torse d’Holloway. Holloway la sentit immédiatement, une déchirure au plus profond de lui. Il se tordit en deux de douleur et sa vision se troubla. Alors qu’il tombait à genoux, peinant à reprendre son souffle, il leva les yeux pour supplier qu’on l’épargne.
Ses yeux désespérés croisèrent les siens. Là où le démon s’était tenu se trouvait un autre Aiden Holloway qui l’observait convulser d’un air impassible.
En l’espace de quelques minutes, il n’en restait plus rien. Le démon qui portait le visage d’Holloway s’étira, testant les limites de sa nouvelle forme.
Il était temps de se remettre au travail.

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