Interface se présente comme une anthologie de huit nouvelles tirées de l'univers de Démon : La Damnation et panachées de règles, gadgets et pouvoirs inédits ! L'un d'entre eux a notamment été utilisé pour la première fois par nos joueurs dans l'Actual Play (pour un grand final, lors de l'épisode 3), disponible à cette adresse : https://www.youtube.com/watch?v=KSXUYKYKuKw&t=11s
Du reste, voici une petite mise en bouche et un extrait d'une des nouvelles d'Interface :
- Extrait de Interface – Quand c’est l’heure d’y aller, de Brie Sheldon
11/06/2006 à 1200 heures
Lorsqu’Angélina Morales sortit de l’avion qui avait atterri
sur une route poussiéreuse du Koweït, la chaleur l’enveloppa tel le souffle
d’un sèche-cheveux. Elle brûlait sa peau en une vague infinie. Non qu’elle
n’apprécie pas la chaleur, cela dit.
Son corps lui semblait toujours froid, et ce, même si elle
l’habitait depuis trois ans désormais. La chaleur était donc appréciée. Elle se
surprit à regretter d’être ici pour accomplir la mission qui l’avait
précisément amenée là – ce serait bien, de rester un petit peu plus longtemps.
Ça lui ferait plus de temps au soleil. Sa montre se réchauffait déjà à son
poignet, sous les rayons de l’astre brûlant. Elle entendait son cliquetis
régulier.
Tic, tac.
Elle y jeta un œil, puis rejoignit la formation de soldats.
Les hommes et femmes à ses côtés se tenaient raides contre le vent qui
soufflait, prêts à recevoir leurs ordres. Ils n’avaient pas de temps à perdre.
Elle non plus.
*
24/06/2006 à 0800 heures
— Morales ! aboya le sergent, faisant claquer ses bottes à
chaque pas. Il serait temps que vous appreniez à arriver à l’heure, soldat.
Vous n’avez pas rejoint l’armée pour vous la couler douce !
Morales acquiesça en silence et resta immobile, le dos
droit, les épaules en arrière et le menton haut. Elle savait que son retard
allait lui coûter un savon – le sergent Wilkins était de la vieille école, à
cheval sur les manières – mais elle avait eu du boulot et n’allait pas prendre
du retard juste parce que ce vieil homme rance avait la moutarde qui lui
montait vite au nez. Elle n’était plus une débutante. Ce genre de comportement
marquait vraiment mal pour le sergent, et elle-même passerait pour une
retardataire abusive. Mais ça ne la dérangeait pas. Plus les gens la laissaient
seule, plus elle pouvait travailler sur sa véritable mission.
Tandis que Wilkins s’énervait, elle jeta un regard alentour,
d’une manière bien trop discrète pour qu’il le remarque. Lewis avait toujours
son tic à la main gauche, Morales commençait à soupçonner un problème
neurologique davantage que de la simple
nervosité. Jones s’avachissait de plus en plus, et les valises sombres sous ses
yeux indiquaient qu’il ne dormait guère. Islington ne portait plus son alliance
; son langage corporel montrait qu’elle ne s’en portait pas plus mal.
— Est-ce que vous m’écoutez, soldat ?
Elle résista à l’impulsion qui lui dictait de soupirer d’un
air las et ennuyé. Pas facile de garder son calme quand on sait que, d’un seul
revers de main, on est capable de faire taire l’impudent pour toujours.
Tic, tac.
Non, ce n’était pas une bonne idée. Elle avait une mission à
remplir. Elle le laissa poursuivre, acquiesçant quand il fallait, marmonnant
quelques « oui, Monsieur », et parvint à garder son calme. Au bout d’un moment,
le lieutenant Gill Frank arriva et interrompit la diatribe :
— Wilkins, laissez-la tranquille.
Sa voix était calme, mais aussi ferme qu’un gros bloc de
chocolat. Et tout aussi douce et dense.
En dehors de la chaleur, s’il y avait bien une chose que
Morales aimait bien, c’était Gill. Il était chaud. Et gentil. Et surtout, il la
distrayait bien. Il lui permettait de penser à autre chose que sa véritable
mission. Même si elle avait ses ordres, elle ne comptait pas renoncer aux
bonnes choses de la vie avant que celle-ci ait pris fin. Si on l’attrapait,
tout prendrait fin, mais en vérité, qu’on l’attrape ou pas, tout cela lui
importait peu. Elle aurait une nouvelle vie, une nouvelle identité – elle ne
serait plus sur place pour vivre cette existence-ci.
Wilkins s’éloigna en marmonnant. Gill – le lieutenant Frank
– acquiesça à son intention, lui adressant un sourire ainsi qu’un clin d’œil
furtifs dès qu’il fut certain que personne ne regardait. Elle enregistra ce
souvenir, pour mieux y repenser plus tard.
Elle se rendit au dépôt afin d’entretenir ses relations avec
les gardes. Elle devait faire en sorte qu’ils y croient, ou elle ne pourrait
jamais les persuader de la laisser entrer. Elle leur apporta de l’eau fraîche
et leur fila un paquet de cigarettes. Le sergent Freize lui promit qu’elle
pourrait pénétrer dans le dépôt dès que son lieutenant ne serait plus dans le
coin. Elle sourit et lui promit qu’il pourrait pénétrer autre chose dès la
première occasion. Puis elle le laissa là, tout content, s’en allant sans se
retourner.
*
30/06/2006 à 1600 heures
Il était temps de mettre le plan en route. Morales passa de
nombreux coups de téléphone, ce jour-là, mais le premier fut pour son contact,
là où elle vivait.
— Monsieur Diaz ?
— L’horloge sonne la première heure.
— Et le lapin saute dans le trou. Assez de tous ces codes.
— Le travail doit être traité comme du travail, Madame
Morales. Vous êtes bien installée ?
— Oui. J’ai aussi relevé de nombreuses complications dans le
plan que vous avez concocté. Pénétrer dans le palais ne sera pas aussi facile
que prévu.
Le palais. Un endroit magnifique. On lui avait fait visiter
certaines parties. Partout, de l’or, des fresques murales, des tapisseries…
l’opulence. Cela dit, ce qui avait attiré son attention ainsi que celle de tous
ceux qui avaient des yeux capables de voir, c’était la piscine. Tout comme le
reste du bâtiment, elle était luxueuse,
somptueuse. C’était un coin assez joli à regarder pour le commun des
mortels, mais pour elle, clairement, il s’agissait d’un rouage de la
Machine-Dieu. Quiconque avait construit cette piscine l’avait réalisée de
manière à s’imbriquer dans la machinerie. Désormais, il existait donc une chose
magnifique construite sur une chose terrible. Si les humains avaient pu le
constater, ils auraient bien compris. Et ils auraient rejeté la Machine-Dieu,
elle le savait.
Mieux valait une vie brève et rebelle contre un système
injuste qu’une existence pérenne sous son règne.
— Madame Morales, vous êtes censée être la meilleure dans
votre spécialité. Nous n’en attendons pas moins de vous.
— Je n’ai pas dit que je ne peux pas le faire. Je dis juste
que ça prendra un peu plus de temps que prévu.
L’autre raison qui motivait cette rallonge de temps était
son envie de passer quelques jours de plus au soleil, mais elle savait qu’elle
ne pourrait pas s’attarder trop longtemps, sous peine de se voir attrapée.
— Je peux vous avoir quelques jours.
— Bien.
Tic, tac.
Elle raccrocha. Diaz faisait partie du bon camp, mais il ne
parlait que boulot. Et elle en avait marre du boulot pour aujourd’hui. En plus,
c’était le dernier jour d’une longue semaine. Certes, les semaines ne
finissaient jamais vraiment pour les soldats, mais les officiers comprenaient
que ces derniers avaient besoin d’un vrai vendredi soir dès lors qu’ils
n’étaient pas en service. Donc tant qu’elle serait ici, elle n’allait pas se
priver des plaisirs mortels à sa disposition. Elle enfila sa tenue de sport
puis sortit dans la chaleur du désert, pour aller droit vers la caravane du
Lieutenant Frank.
La chambre de Gill était identique à la sienne, même pour
les draps. C’était comme ça, ici, et ça avait été la même chose partout où elle
s’était rendue sous cette identité. Des draps bruns, des serviettes brunes…
tout était couleur bronze et sable, jusqu’à leurs sous-vêtements. Ainsi, tout
le monde se ressemblait. Cela l’avait aidée à s’intégrer, à devenir l’un d’eux.
Elle n’avait pas de souci à faire semblant de suivre les ordres – mais elle
savait que, tôt ou tard, comme jadis, elle allait devoir désobéir. Dans
l’armée, la Chute ne serait pas aussi douloureuse que celle des anges, même si
elle serait sûrement tout aussi douce-amère.
Dehors, il faisait nuit, mais elle prit quand même la
précaution de s’agenouiller pour taper doucement sur la porte de la caravane.
Gill la laissa entrer, un index pressé sur ses lèvres tandis qu’il murmurait «
chuuut ». Une fois à l’intérieur, elle se mussa tout contre lui dans le lit, et
le sommeil les enveloppa.
*
04/07/2006 à 2200 heures
Jusqu’à présent, la nuit avait été plutôt calme en dépit des
célébrations typiques de la Fête nationale. Le quatre juillet avait moins de
sens ici que sur leur bonne vieille terre natale, mais où qu’ils se trouvent,
les gens se rassemblaient pour célébrer. Morales rendait visite aux Australiens
pour cette raison précise.
Ils ne fêtaient pas cette date chez eux, mais ils n’avaient
pas besoin de raison pour faire la fête – chacun prenait ce qu’il pouvait
prendre à la vie. Les Australiens se détendaient de manière bien plus
décontractée que les Américains et les Anglais ; il suffisait d’un regard à
leurs énormes barbes pour le comprendre. Absolument chacun de ces hommes
possédait une moustache telle que les hipsters en rêvaient – tout en courbes et
parfaitement lustrée de cire, en mode dandy chic et choc. L’un d’eux en avait
une particulièrement impressionnante – le capitaine. Morales se faufila jusqu’à
lui pour lui tendre une poigné de monnaie locale.
— Joyeuse Fête nationale, Capitaine.
— Tout pareil, Soldat. Ne vous attirez pas d’ennuis.
Quand elle s’écarta, sa main se serrait autour d’une flasque
d’alcool et d’un sentiment d’euphorie. Même ces simples délits représentaient
de vrais frissons.
Elle se hissa à
l’arrière d’un véhicule tout-terrain militaire, au milieu d’autres soldats, qui
conduisirent le véhicule jusque dans la zone internationale sécurisée. Vu
qu’elle n’avait plus bu depuis des mois, il ne lui fallut que quelques minutes
pour sentir les effets de l’alcool. Elle passa la flasque à un autre tandis
qu’elle s’appuyait de la tête contre la fenêtre.
Les cahots de la route donnaient l’impression de se trouver
dans le pire des rocking-chairs. Chaque rebond cliquetait sous son crâne, mais
c’était une douleur agréable, étourdissante. La nuit lui laissa un souvenir
brumeux – des tourbillons de couleur et des formes dansantes, et un autre
soldat qui lui tapotait l’épaule en lui disant qu’elle était géniale de les
reconduire alors qu’ils étaient tous trop bourrés pour ça, à cause des
nombreuses boissons alcoolisées qu’ils avaient bues en douce.
Elle conduisait affreusement mal, mais elle fit de son mieux
et serait parvenue à les ramener quasiment jusqu’à leur caravanes si on ne les
avait pas arrêtés à un checkpoint. Les autres avaient été fluides – il y en
avait même eu un où elle ne s’était pas arrêtée, vu que le garde péruvien de
service lui devait une faveur et que tous ses autres gars s’étaient endormis.
L’officier de ce checkpoint était un vieux soldat américain,
bourru et de mauvaise humeur, qui portait un micro de la taille du Koweït sur
son épaule. Son étiquette nominative indiquait un truc comme « Schwimmmz » –
nom qu’elle ne parvint pas à lire mieux que ça à cause de sa vue devenue
trouble. Elle secoua la tête plusieurs fois suite à ses questions et,
lentement, sa voix lui parvint à travers le brouillard qui l’entourait :
— Soldat, êtes-vous saoule ?
Elle secoua la tête avec insistance.
— Non, Monsieur. Non-non-non.
Il lui jeta un regard sévère assorti d’une bouche pincée. De
toute évidence, il ne la croyait pas. Elle ne pouvait pas lui en vouloir. Ce
n’était certainement pas l’un de ses moments de gloire, que ce soit en tant que
soldat ou espionne. Mais avant qu’elle ait pu en dire davantage, le capitaine
des Forces aériennes qui se trouvait dans le siège passager murmura :
— Laiss’la-tranquille !
Et voilà, c’était foutu. Elle en grogna de frustration.
L’officier grimaça, leur fit signe de tous sortir du véhicule, puis commença à
leur passer un foutu savon pour « conduite indigne ». Le capitaine se montra
hostile et agité. Il fit de son mieux pour faire valoir son rang :
— Je suis un capitaine des Forces aériennes des États-Unis
d’Amérique, et c’est pas un péquenaud de la piétaille avec un gros bide qui va…
Morales lui jeta un regard noir, mais l’autre continua :
— …me dire comment moi j’dois passer mon temps !
Jusqu’à présent, le capitaine s’était montré assez jovial,
et Morales était un peu surprise de le voir changer si vite de comportement.
Quelque chose n’allait pas. Avant qu’elle ait le temps de réagir, le capitaine
se retourna et mit un pain dans la mâchoire de l’officier. Elle s’interposa
pour essayer de calmer le jeu, et fut obligée de filer un coup de tête au
capitaine quand il chargea vers elle.
Tout autour, les soldats émirent un « ooohhhh ! » d’intérêt
passionné. Elle recula. Se battre avec un officier supérieur ? Tout en étant
saoule ? C’était perdu d’avance.
Mais le capitaine n’en avait pas fini avec elle. Se tenant
le nez d’une main, il lui tapa sur l’épaule de l’autre, souriant :
— Bien joué, Morales !
Puis il lui asséna un autre coup, et ce fut le noir.
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